Retour sur l’été 2009. Les mauvaises nouvelles pleuvent: la crise économique est à son apogée, Michael Jackson vient de rendre son dernier souffle, Patrick Swayze aussi mais c’est moins grave, Madoff est jugé. Globalement, les images qui sortent de nos écrans tournent autour de cela à l’époque. Un sorte de crispation mondiale, la planète serre les dents.
Débarque alors sur Youtube un premier bébé, puis un second, et enfin une bande de 96 nouveaux-nés faisant du Break Dance sur des patins à roulettes: les Evian Rollers Babies.
La suite, tout le monde la connait: un veritable phénomène viral mondial transportera la vidéo dans tous les recoins du monde: la Russie,la France, les US, le Mexique, la Corée, le Brésil, la Mongolie (oui!) et bien d’autres ont porté cette campagne No1 sur leur Web national.
Mais sortons un instant de la bataille des instituts de mesure, qui cherchent à savoir quelle est la marque la plus vue en video sur le Net, pour envisager quelques considérations sur le pourquoi du comment de ce Hit, mais aussi pour le dépasser: au délà de la durée naturelle de la campagne, soit quelques semaines tout au plus, c’est encore aujourd’hui près d’1 million de visionnages hebdomadaires qui sont effectués sur le Net, 15 mois après sa sortie.
Pourquoi cette création a-t-elle autant buzzé?
Au fond la réponse à cela est simple: c’est parce que ces videos ont eté partagées par énormément de gens. On se rappelle que debut Juillet 09, nos feeds Facebook étaient remplis de ce clip du matin au soir pendant plusieurs jours.
La vraie question est donc: pourquoi les gens ont ils autant partagé cette video? Il y a évidemment de nombreuses réponses à cela, plusieurs façons de regarder l’objet, d’attribuer plus ou moins de poids à la création ou à la stratégie de diffusion. Voici donc quelques remarques que je n’ai pas croisées sur Internet.
C’est un smile maker. Faîtes le test: montrez cette video au plus aigü des dépressifs et vous verrez s’il peut retenir son sourire. C’est ainsi: qu’on aime ou pas cette campagne, lors de son visionnage, il est impossible de resister au beat et au dandinement millimetré des bambins. Ca n’est certes pas exclusif d’autres sensations, mais nous avons là une première raison possible du partage de la vidéo: ce clip a procuré un sincère contentement à ceux qui l’avaient visionné et l’on peut considérer que l’envoi par mail et sur les médias sociaux était une façon de transmettre une sorte de “cadeau” zygomatique, une bulle de bonne humeur digitale à l’entourage. Bien entendu, pendant quelques temps, il était également assez hype de poster la campagne sur son blog ou son profil Facebook: cela faisait du bien à l’identité numérique.
Cette création “pose une question”. Si l’on connaissait la recette pour un Hit viral, tous les annonceurs et leur agence auraient leur buzz planétaire. Et ils n’en est rien. On aura beau dire qu’il y avait une chanson fantastique et des bébés qui dansent (le mème par excellence, avec les petits chats), ca n’explique pas tout.
Le fait est que pendant les quelques semaines de coeur de campagne, le tweet le plus rédigé était: “Evian Roller Babies: Cute or Creepy?”, toujours suivi du lien. Des centaines de milliers de tweets avec des pointes à 1500/heure. Au point que cette question est devenue, par exemple, le sondage de l’édition électronique du Wall Street Journal pendant plusieurs jours.
Avec un peu de recul, on remarque qu’à peu près au même moment, plusieurs buzz plaçaient aussi une autre question au coeur de leur création: “Fake or not?” Microsoft s’y est risquée avec une réussite mesurée, la pionnière Rayban ou Coca-Cola et ses lancers de canette stratosphériques. Soyons honnêtes: il ne s’est trouvé que très peu de gens pour se poser cette question au sujet des Roller Babies…
Cela nous fait dire qu’une des clés de la stimulation du partage en ligne réside certainement aussi dans l’interrogation potentielle que suggère l’objet digital d’une campagne.
Tous les médias s’y sont mis. Et dans le bon ordre! Il n’y a qu’en France que l’on a vu les bébés Evian en TV payée, lors du lancement. Au plan international, ces bébés sont donc des digital natives. Et si les taux de clic du seul jour d’achat média sur Youtube étaient déjà incroyables (plusieurs % de taux de clic…en 2009!), la machine est véritablement devenue folle lors de la reprise du clip par les émissions populaires du matin, les JT et les Late Shows aux US, en TV. Les grands réseaux ont diffusé dans tous les Etats Unis, gratuitement, la dernière “Youtube sensation”. Et les américains d’aller massivement sur le Web pour revoir la vidéo. Et d’influencer ainsi la planète entière. Cela a généré un record de marque inchangé à date: 14 millions de vues en 24h, le jour des passages TV, fuseau horaire après fuseau horaire.
Cela nous amène à un autre élément envisageable: si les bébés ont effectivement été diffusés en TV, chacun a clairement compris à l’époque qu’ils provenaient du Web. Sauf en France peut-être, malgré une vingtaine de posteurs influents comme Presse Citron par exemple. On entend par là que la TV n’a pas, durant les premiers jours, neutralisé la charge virale du clip, en dehors de l’Hexagone . Même après leur passage dans “Good Morning America“, ils sont restés des créatures digitales, non “mainstreamisés” (désolé) par le media TV, moins sulfureux que le Web de toutes les libertés.
Pourquoi cette campagne continue-t-elle de générer 1 million de vues par semaine, 15 mois après sa sortie?
Comment expliquer ce phénomène? Dove Evolution ou la Flash Mob T-Mobile sont restées beaucoup moins longtemps dans les Charts. Même Nike a pratiquement épuisé le potentiel viral de son tellement impressionnant ”Write the future“, lancé pour la récente Coupe du Monde de Football. Il n’y a probablement pas de réponse catégorique mais l’on peut considérer quelques propositions pour expliquer pourquoi les instituts de mesure des audiences vidéo appelle le buzz Evian la “never ending campaign”. Car, aucune autre campagne n’est aussi souvent présente dans les Charts de Visible Measures: il y a 10 jours, les Rollers Babies constituaient encore la troisième publicité la plus vue sur le Net lors des 7 jours précédents…450 jours après sa sortie!
Vive les blogeurs non influents L’une des raison majeures pour expliquer cette persistance se trouve certainement du côté du nombre de posts sur les Blogs: 40 000 il y a 8 mois, vraisemblablement autour des 50 000 aujourd’hui. Ce qui veut dire que cette campagne est littéralement gravée dans le Web. Nous sommes en fait dans une logique de long tail: enormément de blogs à faible audience permettent, en cumulé, d’arriver à un chiffre impressionnant de vues simultanées. Il ne s’agit pas là de négliger l’utilité des blogeurs dit influents, mais c’est plutôt la multiplicité des sources disponibles qui présente ici un intérêt.
Une publicité pour l’eau qui se transforme… En second lieu, à l’étude des outils Google, on s’aperçoit que les requêtes sur le moteur de recherche ne peuvent pas être à l’origine de ce million de vues hebdo. Cela veut dire que bien souvent, quand les internautes visionnent le clip au cours de leur parcours en ligne, ils n’en avaient initialement pas l’intention. Concrètement, on pourrait en déduire que son référencement a amplement dépassé le cadre de la catégorie dont est issue Evian et que les gens croisent les bébés par hasard et les visionnent à nouveau avec plaisir.
…en un objet culturel mondial que les gens se sont appropriés. Ce qui nous amène au dernier point: si la campagne a debordé de son lit, c’est peut-être parce qu’elle est devenue un objet culturel créatif qui appartient à présent plus au patrimoine digital mondial qu’à la marque elle-même. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’attribution à la marque: on retiendra quand même que c’est bien Evian qui est à la base de cette création.
Et la meilleure illustration de cette hypothèse réside probablement dans les 350 remixes du clip qui ont été uploadés sur YouTube. Certaines de ces versions dépassent à ce jour les 15 millions de vues comme “Baby Billy Jean“. Et à l’examen de ces UGC, un élément saute aux yeux: ils ne sont que quelques uns à avoir ôter la mention audio et vidéo “Evian Live Young“. N’est-ce-pas troublant pour un Web actif traditionnellement peu enclin au respect spontanée des marques? Il faudra demander à Kit Kat. Dans le même esprit, on aurait sincèrement pu s’attendre à des montages pas si bon enfant que cela, et, malgré une veille rigoureuse, rien n’a jamais été détecté. Du tout.
Voilà. Il s’agissait de quelques remarques sur les milliers que l’on pourrait faire à l’étude attentive des données de cette campagne. S’il y a aujourd’hui débat sur le fait que les Roller Babies soient encore No1 (Blendtech et ses destructions d’iPhone et d’iPad cumuleraient plus de views depuis 2006 selon cet article ), deux choses sont certaines: d’abord, il est clair que cette campagne aura clairement redéfini les critères d’un mega buzz vidéo de marque; ensuite, on peut se dire que si le Web est souvent injuste, il est rarement ingrat!
Note: l’auteur de ces lignes a eu la chance de participer à la gestion de la campagne en question
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